L'architecture brésilienne sous influences modernes Marie-Douce Albert Le Figaro, 11 ottobre 2005
L'ARCHITECTURE du Brésil a de justes raisons d'être fière. Parce qu'une poignée de bâtisseurs avait, dès les années 20, su se glisser dans le sillage de Le Corbusier tout en forgeant leur propre vocabulaire, le modernisme brésilien était devenu un style en soi. Il a même eu ses mythes, comme Brasilia, cette capitale nouvelle et à peine vraisemblable. Qu'est aujourd'hui devenue cette architecture? «Toujours moderne?», interroge l'exposition qui ouvre demain à la Cité de l'architecture et du patrimoine dans le cadre de l'Année du Brésil en France.
Conçue notamment par le Brésilien Lauro Cavalcanti et mise en scène par le Français Marc Mimram, elle met en présence la nouvelle génération, en couleur, et, en noir et blanc, ces modernes qui semblent encore leur montrer la voie. Quand ils ne continuent pas à exercer, comme Oscar Niemeyer. Dans son pays et ailleurs, celui qui a dominé l'architecture brésilienne depuis les années 40 et a éclipsé en notoriété ses contemporains apparaît indéboulonnable malgré ses 97 ans. La jeune garde n'a-t-elle pas alors un peu de mal à s'extirper de l'ombre d'un si grand homme?
Personne ne se risquera à une telle irrévérence. Au contraire. La jeune architecte Flavia de Faria avoue qu'elle a parfois «un peu peur qu'il soit difficile d'exister» hors des sentiers balisés par le courant moderne, mais Niemeyer, pour elle, «est le meilleur. J'aime la façon dont il compose les formes. Et j'aime les courbes». Quand on le lance sur le sujet, Roberto Loeb, l'architecte aguerri du centre culturel juif de Sao Paulo, rétorque: «J'ai Niemeyer dans mon sang!» Un autre admet que quelques-uns, de-ci de-là, s'agacent de cette longévité mais il ajoute: «L'histoire de l'architecture au Brésil a 100 ans, Oscar en a 97. Il est l'histoire de l'architecture!»
Finalement, il n'est qu'André Midani, le commissaire brésilien de l'Année du Brésil pour oser cette boutade: «Niemeyer, en un certain sens, on en a un peu assez.» Une invitation iconoclaste à l'adresse d'un public français, qui bien souvent en matière d'architecture brésilienne n'a que ce nom en tête, pour l'exposition qui ouvre ses portes au Palais de la porte Dorée. Evidemment, la Cité de l'architecture et du patrimoine, sur d'élégantes toiles tendues, rend hommage à Niemeyer, mais elle cite d'autres héros du modernisme brésilien, tels Lucio Costa, Lina Bo Bardi ou encore Paulo Mendes da Rocha. Surtout, elle fait découvrir les réalisations d'une cinquantaine de professionnels, tous âgés de moins de 55 ans.
«Aujourd'hui, après la crise économique très grave des années 80, on assiste à la naissance d'une nouvelle génération d'architectes», note en effet Lauro Cavalcanti. Mais il ajoute: «Ils font presque toujours référence au modernisme.» Le style, qui a fait les beaux jours et les beaux édifices du XXe siècle, apparaît vraiment tenace. Il est vrai que le postmodernisme à la mode brésilienne suscite tant de dégoût aux architectes que les chances qu'ils s'en inspirent sont minces.
En revanche, Lauro Cavalcanti a distingué dans les constructions sélectionnées pour l'exposition bien des signes de filiation avec les modernes. Comme leurs aînés, les architectes ont par exemple recours au brise-soleil si utile sous ces latitudes ou encore recyclent, à leur tour, certains traits typiques de la tradition comme les murs blancs, le bois ou les azulejos. «Mais ce modernisme n'est ni nostalgique ni figé», insiste Cavalcanti, qui assure le commissariat de l'exposition avec André Corrêa do Lago.
Tiago Gualda, architecte de la trentaine qui avec son agence DDG a réalisé à Rio le demi-ballon blanc de la salle de concerts du Circo Voador, reconnaît qu'il «est dur d'échapper à l'architecture moderne. Nous avons grandi dans ce bain...
Mais, parfois, il est possible d'en sortir». Guère plus âgés que lui, Vinicius Andrade et Marcelo Morettin, qui présentent à Paris deux projets de maison, renchérissent: «Effectivement, nous sommes les héritiers du modernisme mais en même temps nous n'avons pas les mêmes attitudes. Le modernisme, c'était un peu la politique de la table rase. Nous tenons davantage compte de l'existant.» Quant à évoquer la longévité de Niemeyer, le duo Andrade et Morettin s'exclame: «Quelle santé! C'est pour nous une espérance d'avoir une aussi grande durée de vie.» Décidément, pas question d'écorner l'icône.
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